Des aventures en prime au Camp général

 

Le « Smokeshow » du mont Mummery, IV 5.6 45º 850 m. Photo Dylan Cunningham

Après 45 minutes passées sur la route de service de Blaeberry Forest, près de Golden, notre convoi ralentit pour s'arrêter dans une clairière. Les lourdes averses de la nuit ont rempli la vallée d'un brouillard emmêlé d'une fumée persistante à la suite d'un été d'intenses incendies forestiers. Prêt à retourner dans la région du mont Mummery pour une autre semaine de guidage, j'attends que les autres se garent et me demande si nous aurons assez de visibilité pendant le vol. Puis le soleil du matin, faisant son chemin dans la vallée profonde, me fait apercevoir la cime des arbres du côté opposé de la rivière. Les conditions ne devraient pas être aussi brouillées que je l'avais cru. Je me gare et décharge mes bagages.

Un aperçu de l'intérieur du glacier Mummery. Photo Tanya Bok

Chucky Gerrard, le responsable du Camp général, et qui coordonne l'échange en hélicoptère avec les participants de la sixième semaine, s'écarte de l'action pour me prendre à part. Il est heureux que Kathy Meyer et moi, qui travaillons au camp et nous entraînons pour devenir des guides de montagne, ayons prévu de rester une fois la semaine terminée pour explorer la région et peut-être tenter un nouvel itinéraire au mont Mummery. Le CAC a toujours encouragé les aspirants guides, et l'exploration est une des principales raisons d'être des Camps généraux. Ayant cette tradition à coeur, Chucky encourage notre projet en germe.

Le court vol en direction du camp nous sort de la vallée sombre et nous fait entrer dans les montagnes. L'atterrissage attire mon attention vers une rafale de sacs en mouvement et de sourires accueillants, mais brièvement, car je ne peux m'empêcher d'admirer la région. Des averses par temps ensoleillé frayent leur chemin à travers les montagnes et jettent un éclairage digne sur les sommets. Imposante, la face orientale du mont Mummery domine la vue : c'est un bastion rocheux non escaladé, et presque entièrement menacé par des séracs qui envoient périodiquement des avalanches de glace vers le glacier en contrebas. 

L'endroit semble loin d'être idéal à escalader, mais un élément y saillit suffisamment pour éviter le danger et tracer directement une ligne élégante du glacier jusqu'au sommet. En guidant durant la troisième semaine, c'est le contrefort du nord-est que j'avais remarqué en premier. Le regarder provoque un vertige familier en moi : j'ai toujours aimé imaginer une nouvelle escalade. Aurions-nous la chance de la tenter? Une telle aventure serait-elle amusante ou non? J'avais hâte de le découvrir.

Dylan entreprenant la crête de glace. Photo Dylan Cunningham

L'un des nombreux endroits propices au déjeuner du mont Mummery. Photo Dylan Cunningham.

Tanya à mi-chemin de la crête. Photo Dylan Cunningham.

Le plan s'écroule

Au cours de la semaine, l'appréhension s'intensifiait. Kathy et moi passions notre temps libre à concevoir un plan pour le contrefort du N.-E. et profitions de chaque occasion de nous familiariser avec la montagne. Le premier jour entier du Camp, Kathy et deux autres guides escaladèrent la crête du sud-est, qui était notre chemin de descente le plus plausible. Par la suite, nous avons passé quelques heures de notre temps libre à régler l'approche de notre trajectoire. Nous montons le glacier Karakal sur une courte distance puis nous escaladons un coin de roche qui nous mène au glacier suspendu sous le contrefort, et de là, nous pouvons voir que l'itinéraire semble prometteur.

Témoins de ces excursions, nos camarades de camp commencent à nous interroger sur nos intentions, et il est amusant de sentir monter cette curiosité collective. Chez plusieurs invités au camp, l'idée de nouveaux itinéraires a un attrait exotique et nous aimons partager cette excitation. Ils se désolent autant que nous que les plans préparés s'annoncent infructueux. D'abord, les prévisions météo semblent peu favorables, puis Kathy décide qu'elle devra quitter le camp dès la semaine terminée. Je sens que les trois fondements que sont le climat, les partenaires et le temps commencent à s'écrouler, pendant que ma hâte à escalader Mummery cède le pas à une déception douloureuse. 

En quête d'un nouveau partenaire

Je choisis de ne pas abandonner et de me soutenir avec une bonne dose d'espoir. C'est ainsi que débute, au camp, ma quête d'éventuels nouveaux partenaires. Je commence par l'équipe des guides : Jordan est intéressé, mais doit retrouver sa famille ; Nino se lance dans une autre mission de guide le lendemain de notre semaine au camp ; Darek m'encourage, mais se dit peu intéressé ; Jim a d'autres engagements lui aussi. Nous sommes à la veille de la fin de notre semaine et je commence à me sentir comme un fou qui s'accroche désespérément à une idée qui échoue.

C'est alors que Jim me conseille d'en parler à Tanya Bok, une participante du Camp suffisamment expérimentée pour faire une bonne partenaire d'escalade. J'avais pu reconnaitre ses habiletés durant mon cours de sauvetage par corde ce matin-là, de même que son esprit vif et ses mouvements fluides durant notre escalade de glace en après-midi. Selon Jim, elle serait une solide partenaire avec qui tenter un nouvel itinéraire. Qu'est-ce que j'attendais d'autre? 

J'ai rejoint Tanya, qui profitait des derniers rayons du soleil derrière la tente à manger, un cocktail glacé à la main. Ses hésitations à se laisser recruter m'ont surpris, davantage que ses reproches à se faire inviter en sixième. Le projet l'attirait et elle voulait y aller, mais s'inquiétait de sa forme physique pour ce qui serait une longe journée sur un itinéraire technique. Je suis tombé d'accord avec la sage idée de prendre un jour de repos au préalable, et l'entente s'est conclue. Nos perspectives s'améliorèrent encore plus lorsque Chucky nous fit savoir que le CAC comptait nous nourrir et nous héberger sans frais au camp pendant notre séjour.

Nos camarades du Camp général se trouvaient de nouveau aussi emballés que nous par cette aventure, et manifestèrent leur soutien en nous offrant des restes de collations et des barres nutritives qu'ils espéraient faire contribuer à notre succès. Tanya et moi, l'invitée du camp et le guide, étions sur le point de nous changer en alpinistes recouverts de poussière. Nous n'avions plus qu'à espérer que la mauvaise météo ne se presse pas pour nous rattraper.

Pendant notre repérage, l'escalade de Kathy entre le glacier Karakal et la glace suspendue du contrefort N.-E. Photo Dylan Cunningham

C'est parti

Pendant notre jour de repos, nous avons mangé, fait la sieste, rempli nos sacs et profité de l'amélioration des prévisions météorologiques. Tous les nouveaux arrivants à ce qui est traditionnellement la dernière semaine du Camp général, la semaine des artistes, se sont intéressés à nos projets et nous ont poussés à dormir de bonne heure.

Tôt le lendemain, j'espérais me réveiller sous les étoiles, mais suis sorti de ma tente pour sentir une sorte de neige tiède tomber du ciel. C'était de la cendre. En levant la tête, ma lampe frontale illumina les petits débris de la forêt de Colombie-Britannique qui se déposaient autour du camp. Les conditions n'étaient pas idéales pour l'escalade, mais tout de même meilleures que la pluie.

Tanya et moi avons grignoté un peu avec une tasse de thé avant de décider de mieux manger à une heure plus adéquate pour le petit-déjeuner. Nous avons traversé le glacier pour nous faufiler bientôt entre les crevasses massives près de la base de l'itinéraire. Des morceaux de glace sur le glacier ont prouvé notre courte, mais bien réelle exposition à certains des séracs au-dessus de nous. Nous avancions aussi rapidement que possible.

À moins d'une heure de notre campement confortable, nous atteignions la base de notre escalade. J'étais reconnaissant pour ce plaisir très rare auquel le Camp général nous avait donné accès. Perdre son chemin, randonner en brousse des heures durant, se battre contre un tapis roulant d'éboulis ou de talus : tous ces « plaisirs » habituels nous avaient été épargnés. Je ne me plaignais pas de la bouillie réhydratée de la veille non plus ; je me rappelais plutôt les saveurs plus fines des enchiladas gastronomiques que nous avions mangées. 

Un nouvel itinéraire au mont Mummery

Pour ce qui est de l'itinéraire, je suis heureux de dire qu'il s'est montré à la hauteur des attentes. Son tracé généralement intuitif a procuré tout au long de l'escalade des rochers qualifiables de « AAA » d'après les normes des Rocheuses. Tanya et moi avons trouvé un bon rythme d'escalade et une seule partie du chemin a brisé notre élan. Une fissure large et surplombante dans la crête supérieure présentait un point important, mais qui a été surmonté en effectuant un pontage palpitant avec des « poignées de valise » profondément incisées. L'arête de glace supérieure nous a ensuite mis dans des positions fantastiques, impressionnés par la neige glaciaire qui dégringolait des séracs à nos côtés, et nous nous sommes retrouvés à grimper une rimaye massive pour assurer une dernière longueur vers le sommet. 

De là, nous avons estimé que la redescendre serait simple, bien qu'un peu long. Après tout, Kathy, Jim, et Jordan avaient raconté leur montée et leur descente du glacier et de la crête du sud-est avec décontraction. Tanya et moi avons reconnu leur humour dans la façon dont ils minimisaient la situation, mais nous avons aussi profité du long repos qu'elle nous offrait à mi-chemin. Tout juste sortis de la glace et sur la pierre, nous nous sommes étendus près d'un petit lac dans la chaleur du soleil qui perçait pour la première fois à travers la fumée ce jour-là. Comment ne pas nommer ce lac Smokeshow (« Spectacle de fumée ») en hommage à la qualité inattendue de l'itinéraire comme aux conditions brumeuses dans lesquelles nous l'avions réalisé? Grain de sel mis à part, cette route mérite de devenir un incontournable des Rocheuses, que je peux sincèrement vous conseiller même si vous devez y aller à pied depuis la route.

Une dernière et terrifiante aventure

Terminé, notre moment dans la montagne ne marquait pas la fin de l'aventure. Chaque année durant sa semaine des artistes, le Club invite un artiste — Patti Dyment, dans ce cas-ci — à s'installer et animer des cours d'art pour les participants. Cette semaine-là, l'accent se portait sur la randonnée vers des points de vue où installer des chevalets et interagir avec le paysage autrement que ce qui se fait pendant les autres semaines du Camp général.

En écoutant notre récit de l'escalade, les artistes nous ont pressés de développer et d'interpréter notre aventure sur le papier. J'envisageais d'avoir un solide déjeuner et de poursuivre notre chemin dans la vallée, mais Tanya a eu l'idée d'accepter l'invitation et de nous essayer à l'aquarelle.

Tanya et nos aquarelles de Mummery. Photo Dylan Cunningham

Je ne m'attendais pas du tout à ce que peindre une aquarelle soit aussi terrifiant. Habitué aux risques potentiellement mortels de l'escalade, comment peindre un paysage serait-il dangereux? Après avoir hésité 10 minutes sur un trait de crayon et résisté quelques minutes de plus à l'idée d'ajouter une ombre de couleur à mon canevas, Patti m'a porté secours. « Courage, » dit-elle, et j'ai bien ri de reconnaître ma trépidation. 

Patti a partagé une citation favorite de l'artiste John Singer Sargent : « l'aquarelle est une urgence en évolution, tirez-en le meilleur parti. » Cela me rappela l'engagement nécessaire en escalade, et la philosophie des mouvements qui s'engendrent eux-mêmes. Je remarquai comment j'avais quitté ma zone de confort et cédé à la peur. L'encouragement et les sages conseils de Patti m'ont aidé à continuer et me dépasser. Je suis reconnaissant d'en avoir fait l'expérience. L'activité de peindre a donné un goût particulier à mon séjour dans la région du mont Mummery. Elle m'a aidé à voir les montagnes avec un regard différent et a élargi, au moins pour un moment, l'expérience que j'en fais.

En fin de compte, cette ascension de Mummery avec Tanya a été le point culminant de mon été. Je sais que Tanya partage cette impression, que nous pouvons nous remercier de l'avoir faite ensemble, remercier le Camp général de l'avoir favorisée, et remercier les arts d'y avoir ajouté une toute nouvelle dimension. 


Joignez-vous au GMC de 2022

Le Camp général d'alpinisme annuel du CAC (GMC) fait partie de l'héritage alpin du Canada depuis plus de 114 ans. Ayant lieu chaque été dans une région sauvage

différente, éloignée et peu explorée des montagnes de l'Ouest, le camp permet d'initier les gens ordinaires à l'exploration moderne des montagnes.

Le Camp de cette année aura lieu à International Basin, C.-B.